Erasme : biographie
S’il y a bien une figure emblématique de la Renaissance en littérature, on peut citer Erasme qui rayonna sur le plan international en Europe. On ne peut certes pas le réduire à un humanisme nationaliste hollandais. En effet, bien qu’il fût marqué et influencé par les habitudes et traditions académiques et scientifiques hollandaises (son pays natal), il ne contribua pas moins nettement et de manière constructive à un niveau européen et international du fait de ses nombreux voyages, ses multiples formations et ses ouvrages littéraires et théologiques.
Biographie d’Erasme (environ 1467-1536)
Erasme est né à Rotterdam aux alentours de 1467 (Cette date est approximative car elle est fort controversée) Les conditions dans lesquelles il a vu le jour semblent fort obscures. On sait qu’il est le cadet d’un prêtre, Geert, exerçant à Gouda (Pays-Bas) et de la fille d’un médecin de Zevenbergen.
Rapidement et jusqu’en 1474 environ, il fréquenta l’école de Peter Winckel à Gouda. Dans sa jeunesse, il fréquenta quelques écoles différentes. L’une d’entre elles le marqua beaucoup, celle des Frères de la Vie commune de Deventer. Cette école constitua vers 1480/1483 l’un des premiers foyers humanistes des Pays-Bas. Erasme avait alors neuf ou dix ans, mais il fut marqué par ces frères qui conciliaient vie active et contemplation, l’enseignement de la Bible et celui des auteurs païens. Le Christianisme que l’on y enseignait différait de “l’ancienne mode” contre laquelle il allait combattre toute sa vie.
Comme ses parents étaient morts dans une épidémie de peste alors qu’il avait à peu près dix-sept ans, Erasme se donne le nom “Desiderius Erasmus Rotterdamus”. En effet, selon la mode humaniste, ses parents étant morts, Erasme voulut rompre avec son passé en se donnant une nouvelle identité plus “glorieuse”.
Son frère et lui furent confiés à trois tuteurs : leurs oncles. Ils furent envoyés chez les frères de la Vie commune de Bois-le-duc pour achever leurs études. Erasme dira plus tard de cette école qu’elle était désuète, que les maîtres y pratiquaient les punitions corporelles et qu’il y “perdit son temps”. Il y resta jusqu’en 1486. Ses tuteurs le poussèrent à entrer chez les chanoines augustins de Steyn car ils voulaient capter son maigre héritage.
Erasme prononça ses vœux en 1488. Il sera ordonné prêtre 6 ans plus tard par l’évêque d’Utrecht. La période qu’il passa au couvent fut pour lui l’occasion d’étudier à loisir et de méditer. Il passait presque tout son temps dans la bibliothèque du monastère. Il eut alors l’occasion de lire énormément d’œuvres d’auteurs latins (à l’époque, il ne connaît pas encore le grec) et humanistes. Il écrivit des poèmes en latins, ses œuvres “Mépris du monde” (De contemptu mundi) et l’ “Eloge de la médecine”. Il y commença son livre “Anti-barbares”.
Une fois ordonné prêtre, il rejoignit, avec l’accord de ses supérieurs, l’évêque de Cambrai, Henri Berghes. Il en devint le secrétaire. On l’appelait déjà “poète”, “orateur”, “l’homme le plus savant du monde”,… A vingt-cinq ans, Il était prêt à affronter les forces rétrogrades comme les “hommes obscurs” ou le “barbare”. Cambrai n’est pour lui que la première étape d’un tour d’Europe. Son premier objectif n’est autre que Rome, source de la civilisation et des cultures antiques et chrétienne. Cependant, à Rome, le pape Alexandre VI Borgia et la cour vaticane, loin d’une vie tout évangélique, offraient un spectacle “mondain” qui était à l’opposé avec les aspirations et la conception qu’Erasme faisait transparaître dans son “Du mépris du monde”. Toutefois, c’est un passage obligé pour l’obtention d’une maîtrise en “litterae humaniores” appelée plus tard humanité.
De Cambrai à Rome, la route fut longue et Erasme fit beaucoup de détours. Il passa d’abord par Paris où il fut confronté à des difficultés diverses. Il devint entre autre pensionnaire du “collège Montaigu” dirigé par Standonck, un malinois réformateur, qui faisait régner un régime monastique plus sévère qu’à Steyn. La santé d’Erasme supporta fort difficilement ce régime. A Paris donc, il continua sa formation pour obtenir le doctorat en Théologie. Il fut déçu par l’enseignement scolastique de la Sorbonne qui l’empêcha de redécouvrir le christianisme directement à partir des textes de la Bible. Il écrivit également des manuels scolaires qui furent encore longtemps utilisés dans certaines écoles comme “St Paul’s school” ou bien encore “Eton College”. Grâce à son élève William Mountjoy, Erasme put découvrir l’Angleterre avec ses humanistes chrétiens, l’université d’Oxford et même la cour royale. Il y découvrit qu’il avait déjà conquis ces “lettres de noblesses”. Lorsqu’il regagna Paris, il opéra comme homme de lettre et comme théologien : deux voies qu’il gardera toute sa vie.
- L’homme de lettre publia à Paris chez J. Philippi la première édition des “Adages” et
- le théologien à Anvers en 1500 “Enchiridion militis christianni” (Manuel du soldat chrétien) qui définit une réforme catholique libérale.
Après avoir découvert un livre de l’humaniste Lorenzo Valla, il entama ses premiers travaux exégétiques. En effet, Erasme se mit à traduire le Nouveau Testament. Cette traduction de la traduction grecque des “Septante” en latin lui prit douze ans. Cette traduction fut dédiée au pape Léon X qui s’en fit le défenseur.
Erasme fut un humaniste errant. De fait, toute sa vie il a voyagé à travers l’Europe dans une démarche intellectuelle. Son but fut de sans cesse aller plus loin dans la connaissance c’est pour cela par exemple qu’il se mit à étudier l’hébreu.
En 1505 et 1506 par exemple, il retourna en Angleterre et revit ses amis humanistes dont Thomas More. En 1506, il prépara un voyage en Italie. Le projet de ce voyage l’habitait depuis toujours.
En septembre 1506, à Turin, il obtint enfin le bonnet de docteur en théologie. Il passa à Venise où il approfondit son grec grâce à des amis byzantins et il passa également à Florence. A Padoue, fin de l’année 1508, il servit de précepteur au jeune Alexandre Stuart, fils naturel du roi d’Ecosse. Après un dernier détour par Sienne, il arriva enfin à Rome. Il quitta l’Italie en juillet 1509 et n’y revint jamais.
En effet, après l’ascension au trône du Prince de Galles Henri VIII (le 21 avril 1509), Erasme regagna par petites étapes la Grande-Bretagne. Il séjourna chez son ami Thomas More. Il y resta quelques années qu’il consacra à enseigner du grec et de la théologie à Cambridge notamment, à la préparation de deux grands projets biblique et patristique (Traduction des Pères de l’Eglise : st Jérôme, st Chrysostome,…), à la publication d’une nouvelle édition des “Adages” et d’un pamphlet, non signé, contre Jules II. C’est probablement au cours de ce séjour qu’il aurait écrit son œuvre la plus célèbre “Encomium Moriae” bien connue sous le titre “ Éloge de la Folie”. Cette œuvre souleva beaucoup de polémique et empoisonna entre autres les rapports d’Erasme avec les universités de Louvain et de Paris.
Erasme rentra d’Angleterre en 1514, emportant avec lui de nombreux manuscrit. Il alla quelques mois aux Pays-Bas où il fit à nouveau connaissance avec l’université de Louvain. Il se rendit la même année, à Bâle (Suisse) afin de rencontrer le grand imprimeur Froben. Il y fut accueilli avec beaucoup de respect et d’honneur. Chez Froben, il mit en place son programme éditorial premièrement par la traduction nouvelle de la Bible. Bien vite, il donna le monopole de ses publications à l’imprimeur Bâlois. Bâle était aussi une grande ville universitaire où il put non seulement surveiller les publications, mais également échanger. De par son attachement à l’entreprise familiale d’imprimerie, il put rencontrer par exemple l’helléniste Beatus Rhenanus ou bien encore l’hébraïsant Oecolampade. Il fit encore un court voyage en Angleterre et se rendit aux Pays-Bas méridionaux. Il devint conseiller du duc Charles, devenu roi d’Espagne et qui deviendra l’Empereur Charles Quint. Erasme mit au service de son maître son pacifisme. Il publia également des essais politiques dont le fameux “Institution du prince chrétien”.
Le Vatican encouragea Erasme à continuer son œuvre d’humaniste chrétien. Cependant, lorsqu’il publia son “Nouveau Testament” à Bâle il subit des hostilités en provenance de théologiens réactionnaires de Louvain.
Il se rendit souvent à Bruxelles, où se trouvait la cour, à Anvers, à Bruges, à Gand…
En 1517, il refusa et, ce, malgré les offres flatteuses de François Ier d’aller s’installer à la cour du Roi de France. En avril de la même année, il fut libéré de ces dernières obligations de moine.
C’est à cette période que le moine Luther afficha ces 95 thèses contre les indulgences. Dans les débuts de son action, Luther présenta même Erasme comme son maître spirituel. Erasme approuva Luther dans ses reproches à la cour pontificale où les mœurs du clergé défiguraient le christianisme, aux prélats plus fervents de politique que de christianisme, etc. Cependant, il dut expliquer ses positions philosophiques et théologiques et prendre le parti d’un camp. Erasme s’inscrivit avant tout dans une réforme de l’Eglise catholique : s’il veut le changement c’est au sein même de l’Eglise qu’il faut l’organiser, non en la divisant. Toute sa vie, il resta catholique et défendit la théologie catholique, mais il fut aussi un médiateur intellectuel entre les deux camps farouchement opposés, favorisant le dialogue. On remarquera de magnifiques lettres adressées à Luther.
Erasme ne suivit pas la cour de Charles Quint en Espagne et resta à Louvain où il resta quatre ans en participant à la création du “collège trilingue” (le Latin, le grec et l’hébreu). Bien qu’il eût quelques amis, il eut également beaucoup d’ennemis et, ce, de plus en plus depuis le schisme provoqué par Luther. En effet, Erasme fut alors considéré par beaucoup de catholiques comme un collaborateur de Luther.
Il fut appelé à Bâle pour la correction des épreuves de la troisième édition du nouveau Testament. Il y arriva en 1521. Il quitta les Pays-Bas et n’y revint plus. Il était alors très malade, mais continua à fournir un travail écrasant pour ses éditions. Ses œuvres furent traduites dans toute l’Europe et tout un réseau d’érasmisme se mit en place à travers ce continent.
Erasme refusa à nouveau une invitation de François Ier. C’est à cette même période qu’il dédia ces quatre Paraphrases sur l’Evangile aux grands souverains d’Europe. Celle de Marc à François Ier et les trois autres à Henri VIII, Ferdinand de Habsbourg et Charles Quint. A chacun, il recommande de pratiquer une politique de paix et de fraternité et d’observer les devoirs du prince chrétien.
Depuis janvier 1522, lorsque Adrien d’Utrecht - un compatriote d’Erasme - devint le pape Adrien VI, Erasme entra en lice contre Luther. Il publia en 1524 son “De liberio arbitrio” qui est une réponse à Luther, mais ce dernier riposta avec son cinglant “Servo Arbitrio”. Pour Luther, seule la foi compte. C’est Dieu qui sauve les hommes et les œuvres ne servent à rien. Erasme répondit en 1526 au “Servo arbitrio” par “Hyperaspistes”. Il adopta certes un ton de plus en plus dur, mais il resta symbole de pacifisme. Il souhaita en effet que l’Europe s’unît et que l’Eglise retrouvât son unité perdue. Il fut contraint de s’occuper du divorce d’Henri VI qui épousa alors Catherine d’Aragon. Il n’intervint pas politiquement mais écrit une “Institutio christiani matrimonii” qui rappelle ce qu’est le mariage chrétien et qu’il dédicaça à Catherine elle-même. En 1526, à Bâle, la situation devint difficile pour l’Eglise traditionnelle. Erasme subit des pressions de la part des réformés de plus en plus nombreux. De plus, on ferma des couvents, on fit disparaître les images saintes des églises,…
En avril 1529, Erasme se rendit alors à Fribourg en Allemagne qui est encore une ville catholique. Il s’y installa dans une maison jadis construite pour l’Empereur Maximilien Il garda des liens avec ses amis bâlois et avec son imprimeur. Il écrira encore quelques livres et il entretint une importante correspondance avec les grands personnages d’Europe. Il passa cinq années à Fribourg. Il y consacra beaucoup de son temps à écrire afin de défendre l’Eglise catholique avec des livres comme “Concorde de l’Eglise”, “Ecclésiaste”,…
En juin 1535, il sentit sa fin proche et retourna à Bâle. A la fin octobre la maladie le maintint au lit. En 1536, il rédigea ses dernières volontés. Il était alors très malade : s’ajoute aux douleurs d’articulation la dysenterie. C’est le 12 juin 1536, en prononçant, parait-il, ces mots dans sa langue maternelle : “Lieve God” (“Doux Jésus”) que la vie le quitta.